Accueil > Romans et nouvelles > Susini, Marie

Susini, Marie

Le premier regard

samedi 4 février 2017, par webmestre

Le livre de poche [Éditions du Seuil, 1960], 1976, 128 p.

Le petit roman, divisé en deux parties, m’a semblé bien étrange. Le premier segment nous présente le monologue intérieur d’un enfant. Un langage idiosynchrasique que nous devons décoder tant le fil des pensées se révèle constamment décousu, s’emmêle en alternance avec les brefs échanges de deux carabiniers qui surveillent l’enfant.

Il émerge du texte peu à peu la vision des origines du drame de l’enfant, et bientôt un portrait d’ensemble commence éventuellement à se composer, qui explique la fugue de l’enfant.

La seconde partie semble en complète contradiction avec l’épisode qui précède. Bien qu’il soit annoncé qu’il s’agit du même enfant (placé dans le train), disert et extraverti, l’enfant qui nous apparaît maintenant est timide, impressionnable, effacé, entièrement subjugué par une fillette au caractère espiègle et déluré.

L’expérience de lecture ne pas m’a semblé très concluante et j’ai trouvé le livre plutôt pénible. Ce n’est pas tant lié à l’anecdote, qui est intéressante en soi, mais plutôt à la longueur de certains passages monologués de la première partie. Quoiqu’il s’agit du deuxième récit de Marie Susini lié à l’enfance, je préfère l’auteure aux phrases courtes et aux images puissantes, que l’on retrouve partiellement dans la seconde partie du roman...

p. 39

Entre les deux ponts, là tout juste, au milieu de la pierraille et des herbes sèches, où Florence vide sa merde et ses vieilles malles, ses dessous troués, ses caoutchoucs hors d’usage et les valises en morceaux, jetés là [...]

p. 56

Et ma mère, elle aurait bien pu me dire, me prévenir. Au lieu de quoi, elle a fermé la porte de sa chambre, et c’est là, le commencement. J’avais bien vu qu’à présent, quand elle piquait à la machine, elle chantait et quand elle me regardait, elle était triste. Au lieu qu’avant, c’était tout le contraire qu’elle faisait. Quant on n’était rien que tous les deux, elle riait en me parlant et chantait comme qui dirait.

p. 79

Alors, décroisant ses mains avec impatience, elle lissa les plis de sa jupe puis d’un mouvement brusque elle se détourna et, jetant sur la campagne un regard distrait, un rien ennuyé, elle voulut bien se laisser contempler.

p. 94

Hébété, il reste comme cloué sur place, accrochant à elle des yeux pleins d’attente stupide et désespérée comme si ce mot qu’il ne comprend pas était insuffisant à expliquer cet abîme, encore moins à le rendre rassurant, pendant qu’elle, tranquille de nouveau, silencieuse et un rien moqueuse, semblant ignorer cette effroyable violence, elle se contente de le surveiller, toujours aussi naturelle et insolente dans son indifférence heureuse.