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McKay, Gardner

Toyer

mardi 15 janvier 2013, par webmestre

[Toyer, Little Brown and Company, 1998], Paris, Le cherche-midi, 2011, 768 p.

J’ai plusieurs problèmes avec ce livre. Outre son mauvais titre, le thriller est très long : 743 pages de texte. Le livre se présente selon la formule maintenant standardisée de très brefs chapitres dans lesquels les diverses péripéties sont découpées en tranches brèves où se présentent les éléments du suspense en alternance de manière à nous tenir en haleine. À cet égard, ça va, cette formule propre aux best-sellers n’est pas mon principal problème : elle joue assez bien son rôle, en nous gardant assez près des personnages qui ne sont pas trop nombreux. La longueur de l’ouvrage n’est pas vraiment un problème non plus. L’auteur a un ton rapide et ses phrases sont brèves : sujet-verbe-complément, parfois un seul mot. Point. Ce ton personnel capte notre attention dès le chapitre initial. Premier meurtre. Au second chapitre, ça se gâte : nous savons déjà que l’ensemble des 700 pages restantes sera un combat psychologique entre le bon et le mauvais. Suit un long développement de quelques centaines de pages où se manifeste l’envie d’aller lire ailleurs. Cette longueur nous conduit à une lecture un peu automatique, un peu comme si on écoutait des bulletins de nouvelles pendant toute la journée. Heureusement, l’auteur nous rattrape à mi-lecture. Le dosage assez savant du conflit intérieur des divers personnages finit par porter fruit. Le thriller fonctionne malgré le fait que nous en devinons à peu près déjà tous les tenants et aboutissants. La « »bonne docteure se retrouvera coincée, captive, entre les mains du vilain. Et ce dénouement arrive effectivement, et ça dure pendant, disons 200 pages.

Ce qui est difficile, malgré cette somme d’information, est que les personnages n’ont pas vraiment de profondeur. Le texte interminable demeure très superficiel. Et il en va de même de la motivation des personnages. Malgré la logorrhée de mots, le tout reste en surface, avec des motivations et une crédibilité parfois très faibles ou illusoires ou incomplètes.

Ce qui m’amène à ma difficulté principale. Le vilain, qui n’est pas trop moche, de style élancé, a la prétention de soumettre et séduire ses victimes malgré l’horreur de ses crimes. Bien souvent, le bourreau réussit à enfermer sa proie - invariablement une femme assez jolie - dans une sorte de cage d’angoisse, le plus souvent au domicile même de sa victime. Malgré ou avec le désespéré des situations, le bourreau « joue » avec sa victime et l’amène généralement, dirait-on, a un consentement quasi total. Même si de prime ce n’est pas ce qui intéresse notre délinquant, on peut pressentir le consentement sexuel. Le vilain fait de ses victimes un jouet, d’où le surnom Toyer qu’on lui a donné. À cet égard, la longue confrontation finale entre la docteure et le persécuteur est astucieuse. J’ai déjà relevé qu’elle était très longue, au point peut être d’être perçue comme une mesure dilatoire par le lecteur qui la jugera un peu inutile : à son terme, avec le peu de crédibilité donné à l’ensemble, nous en sommes au même point au niveau dramatique. Genre bof ! Tout ça pour ça.

Au cours de ce dénouement, l’héroïne du livre, une femme qui est constamment décrite comme forte et intelligente, et qui tient beaucoup à son autonomie et son indépendance, va pourtant prendre son pied et se faire baiser comme elle ne l’a jamais été. Comment un psychopathe qui, sans crier gare, vient bouleverser ta soirée et ton monde arrive-t-il à tout coup à te séduire en une nuit, s’incrustant à domicile contre ta volonté ? et ce même dans le cas de femmes d’habitude capables et éclairées ? Bien souvent au cours des descriptions du modus operandi de Toyer, et notamment la scène dans laquelle il séduit la journaliste par exemple, j’ai ressenti cette vilaine impression que l’on peut posséder toutes les femmes, du moment que l’on insiste plus ou moins selon le caractère de chacune. Malheureusement, cette impression que les femmes sont très influençables, du moment que l’on persiste suffisamment, se confirme avec force et assez sottement à la fermeture du livre.

Quelques citations, néanmoins, pour un aperçu du style propre à l’auteur : [1]

p. 153

Une vision noir et blanc de Mason gisant au garde-à-vous dans cette stupide boîte, les jambes jointes, ses chaussures cirées, son plus beau smoking, les joues couvertes d’un maquillage discret, les lèvres poudrées pincées, une grimace que je ne l’ai jamais vu faire. Des lèvres que je n’ai jamais embrassées. Son pénis est-il dur ? Oh ! Pourquoi ne le laissent-ils pas reposer sur le flanc, en chien de fusil, comme il avait l’habitude de dormir dans son vieux pantalon de pyjama, un bras sous la tête, la tête sur l’oreiller ? Qui veut affronter l’éternité au garde-à vous ? [2]

p. 242

... il ne peut lui communiquer l’intensité de son attente qu’à travers son pénis. C’est ce que font les hommes.

p. 277

— Pourquoi pas ? Jouer la comédie, c’est établir une relation d’humain à humain entre des gens qui ne se connaissent pas. N’est-ce-pas ce que nous faisons ? N’est-ce pas ce que font les politiciens ? Les vendeurs de voitures ? Les agents ? N’est-ce pas ce que vous faites quand vous sortez pour la première fois avec une fille que vous venez de rencontrer ?

p. 472

Il la salue et se rassied. Elle ne sait pas s’il faut donner un pourboire aux fossoyeurs ; peut-être que ça porte bonheur.

« Je ne me sens vraiment pas à ma place, déclare Telen.
— C’est normal dans un cimetière.
— Ce que je veux dire, c’est que je suis ta maîtresse et qu’il s’agit de l’enterrement de ta femme.
— Elaine comprendrait. Tu es fabuleusement belle. »

Et c’est vrai. Ses jambes émergent de la robe rouge juste au bon endroit, ses sandales ressortent sur le vert poussiéreux, le soleil cogne brutalement sur ses épaules dénudées.


[1Il faut noter que le livre contient quelques fautes d’orthographe. Étrangement, aussi, le caractère typographique utilisé pour les numéros de page est quasiment illisible.

[2Tout le passage est en italique dans le texte.



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