Accueil > Romans et nouvelles > Ernestam, Maria

Ernestam, Maria

Le peigne de Cléopâtre

lundi 29 avril 2019, par webmestre

Arles : Actes Sud, coll. Babel, traduit du suédois par Esther Sermage et Ophélie Alegre [Kleopatras kam], 2015, 368 p.

Roman intriguant et passionnant pour ses formes douces et ses questions éthiques. Il est notamment beaucoup question dans ce roman des rapports parents-enfants, chacun des trois membres de la petite entreprise Le peigne de Cléopâtre étant plus ou moins marqué par diverses problématiques et antécédents familiaux. Ainsi, il y a Anna, qui a des difficultés relationnelles et des mésententes avec sa fille, alors que d’un autre côté, elle se fait du souci pour son propre père dont la santé diminue de jour en jour, laissant celui-ci incapable de subvenir seul à ses besoins. Puis, il y a le doux Fredrik, dont l’enfance a été broyée à la fois par l’indifférence de la mère et la rigueur d’un père dont le souhait le plus ardent semblait consister à inculquer à son fils les comportements brutaux qu’il jugeait dignes d’un homme. Enfin, Mari, en mauvais termes avec sa famille et rongée par un amour impossible avec David. L’effet de ces réminiscences imprègne toutefois le roman d’une nostalgie prégnante, presque inconfortable, et qui du moins, dilue considérablement le propos plus direct que l’on associe généralement à la trame principale. Alors que le roman semble ainsi occasionnellement teinté de pathétisme, il s’agit probablement juste d’un désarroi mal exprimé.

p. 26

— Si ça peut te rassurer, tu ne corresponds pas aux statistiques : les hommes sont responsables de quatre-vingt-dix pour cent des meurtres. Depuis la nuit des temps. Ne me regarde pas comme ça, je n’en suis pas fier. Tu peux me citer une civilisation dans laquelle les femmes ont rassemblé des armées, sont parties en guerre, ont exterminé leurs ennemies et ramené chez elles les hommes en âge de se reproduire ? Nous, nous avons toujours fait ça.

p. 67

Il avait donc appris à tenir sa langue. Les mots ne lui échappaient plus désormais. Ils restaient confinés dans sa bouche, voletant désespérément, se cognant contre les parois intérieures de ses joues. Alors, Fredrik les avalait. Ils se retrouvaient au fond de son estomac, où ils le rongeaient jusqu’à l’empêcher de marcher droit.

p. 102

Elle s’était foutue de moi, clairement, mais il m’a fallu plusieurs années pour comprendre à quel point. C’est bizarre. La pire des maltraitances est celle qu’on ne cerne pas bien. Comme si le cerveau conservait le souvenir du mal jusqu’à ce qu’on soit suffisamment mûr pour l’analyser. Cet effet à retardement est plus destructeur que l’effet immédiat. Le poison agit plus longtemps.

p. 134

Elle passa le bras sous sa chemise pour lui caresser le ventre. Douceur et fermeté. Une ligne de poils drus courait jusqu’au nombril. Côtes recouvertes d’une peau blanche. Bras fins et forts. Un creux dans la gorge, pour les secrets. Visage. Bouche. Yeux bleus. Sourcils aussi clairs que des trainées de nuages, chauffés à blanc aux extrémités. Elle promena ses doigts, s’attarda sur tous ces trésors, et descendit sous la ceinture. Cuisses puissantes. L’arrondi du genou. Désir et dégoût. Travail et répit.

p. 175

— Ce n’est pas parce qu’on s’est engagé sur un chemin qu’on doit forcément le suivre. Les brebis égarées sont toujours les bienvenues à leur retour. Mais il est plus facile de rentrer chez soi quand on ne s’aventure pas trop loin.

p. 259

— Disons qu’il était très sévère. Et que j’étais l’inverse de ce qu’il aurait souhaité. Au lieu d’un petit dur, il avait un fils tendre et craintif qui aimait les fleurs et la dentelle. C’est peut-être la mort de ma sœur qui m’a rendu comme ça.

Stella lui lança un regard épouvanté.

— Ta sœur est morte ? Comme c’est triste.
— Elle était très jeune. On ne l’a jamais vraiment connue, mais étrangement, elle faisait partie de la famille. J’ai peut-être essayé de soulager la peine de mes parents en étant à la fois petit garçon et petite fille. En fin de compte, je suis devenu quequ’un d’hybride.