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Godbout, Jacques

L’aquarium

jeudi 25 août 2016, par webmestre

Paris : Éditions du Seuil, 1962, 160 p.

Sous les dehors calmes de la routine et de l’ennui, se tapit la violence. Dans ce décor où suinte l’humidité ou trop de chaleur, les bouteilles s’additionnent au rythme du quotidien, mais au final avec le goût de la vie.

Une écriture simple, sans artifices, mais grinçante et imagée, prodigieusement efficace. Un roman intense, virulent, teinté d’exotisme amer et d’âpre sensualité, qui se range aux côtés des classiques de la littérature québécoise.

p. 25

[...] il boit du matin au soir comme on dit d’un homme qu’il travaille du matin au soir [...]

p. 40

Si l’Administration a tant tardé, c’est que la lenteur vient aux hommes qui multiplient les papiers. Ces grands commis cultivent les timbres comme d’autres la figue-banane ou la cacahuète.

p. 43

— C’est le bureau au-dessus du mien, premier étage.
Tous deux se lèvent. L’escalier compte trente-trois marches. Puis un corridor et tant d’autres portes. Ils marchent, reviennent, ne trouvent pas.
— C’est comme le dur chemin des âmes...

p. 60

([...] mon pays ne m’a pas appris ces luttes, il m’a appris la patience du froid [...] j’ai fui parce que les révolutions ne s’y faisaient pas et je rêve d’y retourner pour les mêmes raisons.)

p. 76

(Qu’importe tout cela ? L’avenir n’est plus à nous ; notre peau est trop pâle.)

p. 77

Et nous plaquons, par-dessus le couvercle, la glaise accumulée tout autour ; qui d’une pelle, qui du pied. Et même avec le bois des parapluies, cependant que derrière nous Monsignore lit dans son édition de luxe dont les pages sont moites des passages de l’Ancien Testament qu’il choisit au hasard.

p. 82

Puis distraitement, je regarde un être distrait.

Nous en sommes peut-être tous à ce point. C’est la fatigue aussi, les yeux qui rentrent dans leur orbite comme petites bêtes sauvages dans leur terrier — c’est l’ennui.

p. 93

C’était l’été quand tu partis. Je demeurai seule dans notre chambre une bonne quinzaine de jours après ton départ. Tu m’étais odieux. Et les objets qui m’entouraient nourrissaient ma haine.

p. 96

La lumière semblait plus inquiète que la nuit.

p. 97

Car je ne réfléchissais pas (je ne réfléchis jamais) : la réflexion est une imposture. Les idées me viennent, plutôt, me rendent visites polies, s’en vont. Il arrive que j’en retienne une, comme on retient le garçon du bar pour un dernier verre ; certaines provoquent des gestes, d’autres me laissent froid. Quand aucune idée (cela arrive) ne daigne se présenter, je marche à vide [...]

p. 108

[...] la désintégration nous est familière et mieux vaut que nous pourrissions, pour que d’autres vivent. La Casa Occidentale détruite, ce ne serait qu’une verrue résorbée.

p. 121

Toi que j’attendais avec autant de crainte que d’impatience. Et tu dors déjà. Nous n’avons pas dit trois mots et tu t’es abstraite du monde comme s’il t’avait fait mal, comme une plante sensitive qui se recroqueville au toucher.

p. 147

... Je me souviendrai, c’est cela, je me souviendrai. Et ce sera le remboursement de ma dette. Trois mois contre des souvenirs, trois ans contre deux jours de peine. [...] je sais : il faut troquer ceci contre cela pour être heureux. Et n’avoir point de remords.

p. 155

— Qu’as-tu ?
— Rien, rien du tout.
— Mais si : tu fais triste figure.
— Je n’arrive plus à me souvenir.
— Rappelle-toi l’avenir ; ça nous sera plus utile.