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Jasmin, Claude

Anita, une fille numérotée

samedi 27 avril 2013, par webmestre

XYZ éditeur, 2013, 188p.

S’ouvrant sur un épigraphe de Émil Michel Cioran, Les sources d’un écrivain, ce sont ses hontes, ce roman laisse entrevoir un contenu dramatique. À la mesure de notre lecture, nous pouvons saisir qu’une fin tragique ou violente surviendra, à la mesure et à l’intensité du bonheur vécu par l’auteur tout au long du livre. Son amour est affirmé, inconditionnel. En tant que lecteur, nous ressentons ce franc amour, et nous le partageons dans la mesure où nous en partageons également les complexités. Le récit rend le contexte et l’animation de l’époque, mettant en place les éléments qui nous permettront de comprendre à demi-mot des motifs plus intangibles, voire platoniques, du grand amour qu’il ressent.

Ce roman est en fait une chronique. Plus précisément celle de l’auteur, alors étudiant, et de sa famille, puis celle de la ville de Montréal dans les années 1950. Au fil du feuilleton, nous croisons des personnages colorés et quelques individus qui ont fait la petite histoire de cette époque, ainsi que d’autres figures, davantage en devenir, et qui auront forgé notre histoire récente ou contemporaine. Quantité de figures du monde des arts visuels sont évoquées, souvent à peine esquissés, au fil des rencontres ou de leurs croisements avec les protagonistes.

Quelques citations sauront bien nous restituer l’esprit d’époque qui transpire dans le roman, et qui mettent en contexte les hontes dont ont naturellement souffert la majorité des citoyens du temps, peu importe leur milieu d’origine.

p. 69

Refus global a osé proclamer un anticléricalisme violent. Borduas a été aussitôt mis à l’Index et interdit d’enseignement. Père de famille, il s’est retrouvé chômeur. Pour nous, c’est un scandale ! On n’en revient pas, mais mon père décrète : « Notre chef Duplessis a fait ce qu’il fallait. Pas de place pour les athées. [...] Oublie la peinture, as-tu envie de virer vagabond alcoolique ? Comme ce Léo Ayotte qu’on voit pisser sur les arbres et coucher dehors au carré Viger ? »

p. 71-72

Notre Montréal grouille d’indignation, la police a mis en cellule une sculpture en bois du jeune Robert Roussil intitulée La Famille, seins et sexes montrés clairement. Plus tard, on interdit au libraire Tranquille d’exposer en vitrine le gros Balzac de bon bois du même Roussil.

p. 86

Robert Gadouas avait osé montrer, audace condamnée par nos conservateurs, le Huis clos du « démoniaque » Sartre. La censure omniprésente, rapidement, avait fait interdire la pièce par les propriétaires du théâtre du Gésù, les jésuites. À cette époque, « le pape de l’existentialisme » était venu à Montréal et Gadouas avait fait donner une représentation dans la chambre d’hôtel du célèbre philosophe athée.

Ce « huis clos du Huis clos », noire parabole, avait donc été condamné par nos évêques et par Duplessis, le chef despotique. Gadouas, comme tous les étudiants, fustigeait violemment le clergé et notre dictateur à Québec.

Le pays nous semblait une colonie rétrograde. Certains créateurs étouffaient, parlaient volontiers de se suicider. Gadouas dira - et, hélas, il le fit : « Je me jetterai une jour par une fenêtre. » Dupuis finira aussi par accomplir sa triste prophétie : « Moi, j’avalerai plutôt un poison, du cyanure, n’importe quoi ! »

p. 143

« Ça n’était pas facile d’entrer ici, le premier ministre du Canada, Mackenzie King, avait déclaré en 1939, à la suite d’une demande officielle internationale d’accueil des Juifs : "None is too many !" »


La première couverture du livre, avec la mention « Roman », semble avoir été remplacée et celui-ci porte maintenant en couverture la mention « Récit ». La modification est mineure, mais suggère peut-être davantage la narration, la mémoire plutôt que la fiction.



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