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Georges, Karoline

Sous béton

lundi 3 décembre 2012, par webmestre

Québec, Éditions Alto, 2011, 192p.

Avec verve et imagination, l’auteure crée un roman qui devient vite passionnant dès que l’on met de côté nos usuelles attentes et nos réflexes de consommateur de lecture. Les éléments de base sont minimalistes, quasi inexistants : une cellule père-mère-enfant, un Édifice, et devrait-on dire, une conscience qui s’épanouit chez l’enfant.

J’avais compris très tôt que l’intelligence servait à découvrir par soi-même ce qui n’était pas destiné à être révélé, que l’application ultime d’une raison bien aiguisée consistait à prétendre ensuite n’avoir ni cherché ni trouvé et ne surtout pas avoir compris l’évidence qui s’imposait alors. (p. 17)

Dans ce contexte où tout semble équilibré dans une société futuriste, et qui n’a finalement que les dehors d’une société futuriste (ce pourrait aussi être « ailleurs »), l’enfant est éduqué de façon à devenir fonctionnel, c’est-à-dire pour se rendre utile à l’Édifice et tâcher de survivre en demeurant en bonne santé.

On m’avait injecté des connaissances désormais inapplicables, le principe de la photosynthèse par exemple, puisqu’il ne subsistait aucun végétal ni à l’intérieur de l’Édifice ni à l’extérieur, que de l’oxygène de synthèse pour les résidents et une nappe d’air échappé des conduits qui s’enroulait dehors autour du bâtiment, là où les expulsés s’agglutinaient dans le semblant de couche atmosphérique pour survivre encore un peu. (p. 40)

Il s’agit d’un livre exigeant, mais dont la lecture nous comblera quasiment de bonheur. Nous aurons plaisir à ressentir à la fois des émotions et de l’intelligence. Que ce soit par le biais de sensations intelligentes ou d’intelligence sensible, nous aurons vécu en parallèle la révolte de l’enfant. « Tu as remarqué la faiblesse du cerveau ? Il gère assez bien les informations qu’on y catalogue. Mais le reste est impensable, m’assurait-il. » (p. 47)

C’est écrit avec soin, et peut-être avec un peu de froideur. On ne pourra le reprocher à l’auteure, puisque c’est écrit avec profondeur et un grand sens de la perspective. Bien que ma description pourra vous transmettre le sentiment d’un roman flou au plan de l’action, il n’en est rien. Seuls les repères sont différents et tout le talent et la maîtrise de l’auteure consistent à nous conduire malgré tout à une destination.... Et c’est ici que j’hésite, que je bloque : je n’arrive pas à me satisfaire de la destination. Disons que la fin est sujette à interprétation. Chacun pourra l’apprécier. Pour ma part, je ne ne saisis pas l’intention de l’auteure, et c’est ici, dans les dernières pages du livre que je trouve ma déception.

Depuis ma singularité, tout ce que j’avais cru comprendre jusque-là s’étiolait en brouillard d’idées informes, une soupe primordiale, ai-je un jour pensé, un retour à un état involué. (p. 89)

[...] Nous formions une chaîne alimentaire autophage sous béton. Une boucle d’avalement. Une condamnation univoque. Mais pourquoi ? (p 147)

Bien que j’aime d’emblée l’expression « soupe primordiale », cette phrase transmet bien l’idée de ce que je ressens au moment de terminer le livre. Prise de conscience, ou dissolution, il subsiste une ambiguité persistante et l’intention ne m’a pas semblée très claire.

Livre « inclassable » a écrit Le Devoir [1]. J’y verrais, de par certains aspects tels que le travail esthétique, des liens avec le nouveau roman, ou avec la Nathalie Sarraute des Tropismes par exemple : l’environnement réduit à sa plus simple expression, une grande intériorité, de brefs passages tenant lieu de chapitres. L’ensemble, du point de départ à celui d’arrivée, peut constituer une vaste métaphore : rapports parents-enfant, l’enfermement, la recherche initiatique et la prise de consience... les synecdoques et autres thèmes métaphoriques ne manquent pas.


[1Lalonde, Catherine. « Karoline Georges - Forcément sublime », Le Devoir, 3 septembre 2011



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