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Maalouf, Amin

Le périple de Baldassare

mercredi 11 avril 2012, par webmestre

Éditions Grasset & Fasquelle (2000), Bernard Grasset, Paris, 2000, 496p.

Dédicacé (à Linda). Prêté par elle, merci !

p. 98

Je butine de temps à autre quelques vers au hasard dans ce livre d’Abou-l-Ala, qu’un vieux libraire de Maarra posa dans mes mains il y a trois ou quatre semaines. Aujourd’hui, j’ai découvert ceux-ci :

Les gens voudraient qu’un imam se lève
Et prenne la parole devant une foule muette
Illusion trompeuse ; il n’y a pas d’autre imam que la raison
Elle seule nous guide de jour comme de nuit.

p. 111

Ce qui a été payé en larmes ne se rembourse pas en eau salée. [...] Pour tout être, la fin du monde est d’abord sa propre fin, et la mienne m’avait semblé soudain imminente. Sans attendre l’année fatidique, j’étais en train de glisser hors du monde, lorsque deux mains m’ont retenu. Deux mains, un visage, un coeur, un coeur que je savais capable de sautes d’amour et d’obstination rebelle, mais peut-être pas d’une tendresse si puissante, si enveloppante.

p. 200

Moi je n’ai recueilli qu’une rosée de vin sur la bouche ravie d’une femme. Si le monde pouvait nous ignorer chaque jour comme il nous a ignorés aujourd’hui ! Si nous pouvions vivre et nous aimer ainsi dans la pénombre, jour après jour, en oubliant toutes les prophéties. Et nous saouler de vin hérétique et d’amours condamnées !

Seigneur ! Toi seul peux faire en sorte que Ta volonté ne soit pas faite !

p. 224

Mais il est également vrai que si lesdites lois n’étaient pas aussi cruelles, ni Marta ni moi n’aurions eu besoin de les contourner. Dans un monde où tout est gouverné par l’arbitraire, pourquoi serais-je le seul à me sentir coupable de transgression ? Et pourquoi serais-je le seul à éprouver du remords.

Il faudrait qu’un jour j’apprenne à être injuste sans états d’âme.

p. 405

L’amante, un champ de fleurs, et mes doigts et mes lèvres un essaim d’abeilles.

p. 439

Et jurait ses grands dieux qu’il aspirait à la liberté de croyance plus que moi encore. Mais en ajoutant que pour lui, la liberté devait s’octroyer par les uns et les autres de façon réciproque ; comme s’il était dans l’ordre des choses que la tolérance réponde à la tolérance, et la persécution à la persécution.

p. 445

Tous les soirs, entre deux nausées, je prie pour que la nature nous soit plus clémente, et voilà que Domenico m’apprend qu’il prie pour le contraire. Ses prières sont, de toute évidence, mieux entendues que les miennes. Et maintenant qu’il m’a expliqué ses raisons, je vais probablement l’imiter.

« Tant que la mer est déchaînée, me dit-il, nous sommes à l’abri. Car même si les gardes-côtes nous repéraient, ils ne se hasarderaient jamais à se lancer à notre poursuite. C’est pour cela que je navigue de préférence en hiver. Ainsi, je n’ai qu’un seul adversaire, la mer, et ce n’est pas l’adversaire que je redoute le plus. Même si elle décidait de me prendre la vie, ce ne serait pas un si grand malheur puisqu’elle m’aura fait échapper au supplice du pal qui m’attend le jour où je serai pris. Mourir en mer est un destin d’homme, comme mourir au combat. Alors que le pal te fait cracher sur celle qui t’a mis au monde. »

p. 482

Je n’ai pas vraiment choisi de mettre les pieds là où je les ai mis, mais choisit-on jamais vraiment ? Mieux vaut se faire complice du Ciel que de traverser la vie entière dans l’amertume et la contrariété. Il n’y a aucune honte à déposer les armes aux pieds de la Providence, le combat n’était pas égal, et l’honneur est sauf. de toute manière on ne gagne jamais la dernière bataille.

p. 483

[...] selon des voyageurs arrivés récemment de Londres, l’incendie aurait été finalement maîtrisé. Il aurait détruit, dit-on, la plus grande partie de la cité, mais le nombre de morts n’aurait pas été très élevé.

« S’il l’avait voulu, le Très-Haut aurait pu anéantir ce peuple mécréant. Il s’est contenté de lui adresser une avertissement, afin qu’il renonce à ses errements, et qu’il revienne au bercail miséricordieux de notre mère l’Église. »

Pour le frère Egidio, c’est la dévotion secrète du roi Charles et de la reine Catherine qui a persuadé le Seigneur de se montrer clément, cette fois. Mais la perfidie de ce peuple finira par user l’infinie patience de Dieu...

Pendant qu’il parlait, mille pensées traversèrent mon esprit. Du temps où j’étais dans ma cachette, dans les combles, au dernier étage du ale house, on murmurait que c’est à cause du roi que Dieu a puni Londres, à cause de sa dévotion secrète à l’« antéchrist » de Rome, et à cause de ses coucheries...

Dieu a-t-Il été trop sévère envers les Anglais ? At-t-Il été trop clément ?

Nous lui prêtons l’irritation, la colère, l’impatience, ou le contentement, mais que savons-nous de ses véritables sentiments ?

Si j’étais à Sa place, si je trônais au sommet de l’univers, depuis toujours et pour toujours, maître de l’hier et du lendemain, maître de la naissance, de la vie, de la mort, il me semble que je n’aurais éprouvé ni impatience, ni contentement — qu’est-ce que l’impatience pour celui qui dispose de l’éternité ? qu’est-ce que le contentement pour celui qui possède tout ?

Je ne L’imagine pas en colère, je ne L’imagine pas outré ni scandalisé, si Se jurant de châtier ceux qui se détournent du pape, ou du lit conjugal.

Si j’étais Dieu, c’est pour Bess que j’aurais sauvé Londres.

p. 486

Je n’ai plus songé qu’aux femmes que j’ai aimées, celle qui m’ont tenu dans leurs bras au cours de mon enfance — ma mère, et les femmes en noir de Gibelet — et celles que j’ai tenues dans mes bras en mon âge d’homme.

p. 486

Est-il convenable de songer ainsi à Bess dans la maison de mon futur beau-père, qui est aussi mon bienfaiteur ? Mais les songes sont libres de toute maison et de toute convenance, libres de tout serment, libres de toute gratitude.

p. 489

Il se peut que le Ciel ne nous ait rien promis. Ni le meilleur ni le pire. Il se peut que le Ciel ne vive qu’au rythme de nos propres promesses.


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