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de Brémond d’Ars, Yvonne

Le Journal d’une antiquaire : La démone

dimanche 9 octobre 2016, par webmestre

Paris : Hachette, 1969, 192 p.
Entoilé, avec jaquette et comprend une planche couleurs.

Ce livre plaira davantage aux personnes qui aiment les portraits et descriptions. L’action y est moins présente et elle s’étend sur près d’une vingtaine d’années. Ceci dit, madame d’Ars excelle dans la peinture des personnages. Elle nous dépeint en quelques traits tout à la fois les atours et les caractères, avec parfois une pointe de juste ironie ou de lucide cruauté.

L’histoire elle-même se concentre sur un nœud improbable de circonstances (fatalités serait peut-être plus juste) que l’on peut qualifier d’extraordinaires. En plus des hasards qui lient les personnages, la fortune a aussi fait que l’antiquaire assiste aux prémisses de l’affaire comme à ses conclusions. Si tous les faits relatés dans la chronique se sont réellement produits, ce n’est certes pas banal, et à l’exception peut-être de longueurs occasionnelles, nous saluons le talent narratif de madame d’Ars.

p. 19

Le comte d’Artois y tenait un peu le rôle de grand prêtre ; il avait même commandé au sculpteur Falconet, une statue grandeur nature de la déesse en marbre de Paros. Elle se dressait dans les prairies qui lui étaient dédiées. Les belles invitées du comte d’Artois venaient lui rendre hommage, vêtues de tuniques transparentes drapées à l’antique, les pieds nus dans des sandales d’or, leurs chevelures dénoues parées de rubans et de fleurs. [...] Les révolutionnaires de 1789 s’empressèrent de faire disparaître cette idole, mais Caresme, le graveur, nous a laissé des épreuves en couleurs, qui témoignent bien joliment de ces offrandes à la déesse de l’amour...

p. 48

— Voyez-vous, madame Bertile, aussi extraordinaire que cela paraisse, il existe encore, de nos jours, des pères de ce genre (ils ne sont ni sculpteurs, ni mythologues). J’ai pu en observer dans certaines familles bourgeoises de ma connaissance. Tout doit plier devant leur volonté ou leur caprice : épouse, enfants, servantes. Et tous s’évertuent à épargner à cet autoritaire toute cause de contrariété, ce qui aboutit parfois au résultat diamétralement opposé à celui recherché. L’irascibilité est une maladie chronique aux syndromes décevants.

p. 67

Entre deux propos de cette intarissable vantarde, quelque autre dame risque une objection ou formule de réserve perfidement tempérée par le ton doucereux. Dans cette assemblée réputée charitable, chacune de ces bienfaitrices ne pense en réalité qu’à soi. Leur seule excuse, c’est que, jeunes ou âgées, ces femmes vivent un rêve. L’espoir auquel elles se raccrochent est celui de nombre d’humains : Être prises pour ce qu’elles auraient voulu être, qu’elles ne sont pas et qu’elles ne seront sans doute jamais...