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Merle, Robert

En nos vertes années, Fortune de France II

lundi 9 avril 2012, par webmestre

Éditions de Fallois (1992), Le Livre de poche, Paris, 1994, 672p.

Combien étrange est l’usage de mots anciens — tels que « remembrance » (p. 157, p. 190, etc.) — à consonnance anglophone, alors qu’aujourd’hui utilisés dans notre langue, ils nous passeraient pour s’adonner paresseusement aux anglicismes ! De même que l’origine de certains mots passés dans l’usage anglophone, tels que « labour », dont l’emploi constant se rapportait, bien évidemment, au travail : « Et mieux j’aimerais avoir labouré toute la nuit à mon métier. » (p 595).

p. 95

« Je ne possède rien sur cette belle terre du Languedoc que ma bouche pour manger et mes bras pour la nourrir. »

p. 96

« ... et en l’attendant, nous sommes céans à peiner et à pâtir sans un moment de joie. À menus gens, menue monnaie. Et combien que le soleil soit beau en Languedoc, nous ne pouvons le manger. »

p. 127

... et comme bien on pense, sur Fontanette je tombai qui se donnait des airs d’essuyer la rampe, mais que je soupçonnais d’avoir écouté à l’huis, car un grand pensement paraissait lui trotter dans la tête, donnant rougeur à ses joues et branle à son parpal. [...] ... ajoutant, comme si j’allais me tromper de chemin au plus épais des bois, qu’elle s’offrait à m’y conduire. Je n’eus garde de la rebiquer et, abandonnant son chiffon sur la rampe, la mignote me précéda dans l’escalier, le pas si alerte et la hanche tant mouvante et gracieuse que mes regards lui tinrent chaud, je gage, tout le temps que dura cette dévalade.

p. 137

« L’alun est un astringent. Mais, ajouta-t-il en se testonnant la barbe d’un air quelque peu paillard, il est d’autres usances plus ésotériques. [...] Car on dit que l’alun fait miracle en de secrètes parties de la femme et que Cléopâtre en usait pour raffermir et resserrer les parois intérieures de son calibrys, donnant ainsi chaque fois à César l’illusion d’une virginité renaissante. »

p. 141

« Dans la rue des Étuves où Messieurs les écoliers ont coutume d’aller prendre les bains, s’ébattent comme mouches au soleil une nuée de loudières qui ont des chambrettes proches et s’escambillent pour quelques sols. D’aucunes de ces gouges sont fort jeunes et accortes, la charnure ferme, la trogne belle, le tétin pommelant. Or, les droles qui, comme vous, mon beau neveu, ne rêvent que de s’emmistoyer, et vont goûter à ces fruits, si beaux au-dehors, si pourris au-dedans, se réveillent un beau matin, le nephliseth navré et gangrené, et combien même que le sublimé corrosif leur apporte la curation de leur mal, les cheveux leur tombent et les dents aussi. »

p. 240

— Peu me chaut, dit la Thomassine en secouant ses épaules charnues. Je suis ce que je suis. Et peu vergognée de l’être. En outre, ayant maintenant de quoi, je ne vends plus mon devant. Je le donne. Et mon amour avec, ajouta-t-elle, en me baillant l’œillade la plus tendre. [...] Mais du moins, n’es-tu pas de ces malonestes qui pissent dans le puits après qu’ils y ont bu ! »

p. 247

« Pierre, il en est des femmes comme des vents et tempêtes : nul ne peut les prédire. [...] Te voilà bien navré. Mais toi qui es médecin, Pierre de Siorac, ne sais-tu pas que l’âme peut se guérir par le moyen du corps ? Allons, mon Pierre, laisse que je te soigne ! poursuivit-elle en délaçant son corps de cotte, geste qui me rappela Barberine. J’ai là curation souveraine pour traiter la mélancolie. »

Et certes, de tous les remèdes négligés par notre maître Rondelet dans son Methodus ad curandorum omnium morborum, celui-là est le moins coûteux, le plus sûr et le plus délicieux, car des bras de la Thomassine, je sortis en effet tout rebiscoulé, comme le géant Antée après qu’il eut repris contact avec la déesse Terre, dont il était le fils.

p. 258

Quant à moi, si fort que ce soir-là j’eusse eu besoin d’une tendre brassée, je n’avais pas ce recours, le vendredi — jour de Vénus — étant celui où la Thomassine recevait son chanoine, lequel, étant l’homme de beaucoup de sens, savait employer au mieux d’une charité bien ordonnée les espèces sonnantes qu’il tirait des fidèles en échange des jours d’indulgence qu’il leur distribuait. Ainsi, les pécunes salvatrices passaient de l’escarcelle du pécheur à l’oreiller de la pécheresse, sans que personne, ni dans ce monde-ci ni dans l’autre, ne fût lésé, le pécheur gagnant son purgatoire, le chanoine atteignant à la sérénité, et la pécheresse tant tenue tant payée, et qui plus est, absoute.

p. 285

Il était assis à l’aise en son fauteuil, dodelinant gaiement du chef — et plaise le lecteur de ne pas se fâcher ni le prendre à mal — de-ci de-là baritonant du cul. Car, à dire la vérité, et bien que ses manières fussent si honnêtes, il pétait fort et souvent, encore que d’une façon non puante, ayant bonnes et fraîches entrailles, et rejetant par l’anus l’air qu’il aspirait en trop par la bouche, étant accoutumé, Dieu sait pourquoi, à baîller entre chaque phrase comme poisson hors de l’eau.

p. 333

— ... Cependant bonne hôtesse poigner verre plutôt que fesse, c’est pitié ! Où va le monde sans le vit ?
— Merdanson, dit l’hôtesse, bien je t’aime, mais outre que tu es plus mal embouché que palefrenier de Thoulouse, tes manières sont rufes et rustiques. Prends Monsieur de Siorac pour modèle. Il ne caresse que de l’œil. Il attend des encouragements pour passer de l’œil à la main.

p. 335

— Ha mon Pierre ! me dit-elle, ses yeux vifs luisant dans la pénombre, vous n’eussiez pas dû m’oter de mon état de pucelle. J’ai trop de friandise maintenant à faire avec vous la bête à deux dos, tout gros péché que cela soit je ne peux plus m’en passer davantage que de pain. J’y vais rêvant tout le jour, lequel n’est plus rien pour moi que d’attendre la nuit et vos bras à peine quittés, j’y rêve encore dans le mitan de mon lit.

p. 355

— Bah, ceci n’est rien, dit Mlle de Mérol, avec une moue fort triste. Mon père a un revenu de cent mille livres par an. Ce qui fait que je ne peux décemment épouser un gentilhomme qui n’ait pas au moins la moitié. Or il ne s’en trouve pas plus de quatre de cet acabit en nos provinces et ils sont si laids et si peu ragoûtants que je les ai tous refusés. Si bien que ma fortune est scellée : je mourrai fille.

Après cela, je la regardai d’un autre œil, fort étonné qu’une femme si belle et si riche pût attendre un sort semblable. Et je me dis tout soudain que c’était grande pitié, à y songer d’un peu près, que l’or commandât au destin de l’homme au lieu de lui obéir.

p. 397-398

— Ha Mesdames ! si j’avais le bonheur que vous fussiez musulmanes, incontinent je me convertirais et vous épouserais toutes quatre.

À quoi elles rirent fort, quoique de façon contenue, cachant leurs jolies bouches de leurs mains, et se trémoussant des pieds à la tête, tant ce propos d’épouser, même en gausserie, crée chez les filles je ne sais quel tumulte. Et pourtant, que leur apporte le mariage tant désiré : un mari ingrat ou tyrannique, le lourd ménage d’une maison, un enfant par an, et tôt ou tard, la mort en couches.
— Eh quoi Monsieur ? dit l’une d’elles qui était l’aînée, et qui s’appelait Iñez, toutes les quatre ? et il n’y aurait donc pas de préférée ?
— Si fait ! dis-je en riant, mais cela ne se pourrait décider qu’à l’usance.

[...] Mais, je le vois bien, c’est là le piège que nous tend l’exquise beauté, en toutes ses parties, du corps de la femme. On cuide se contenter de la rondeur d’un bras. Mais le bras qu’on vous abandonne, baisé et mignonné, l’appétit croît de sa nourriture même : il y faut tout.

p. 460-461

— N’avez-vous pas admis ma bonne maîtresse comme élève en votre École du Gémir. Et bon régent vous devez être, car chaque mercredi que Dieu fait, je l’ois gémir davantage.
— Madame, si j’avais l’heur d’être votre mari, je vous tiendrais à cette école-là le matin, le midi et le soir.

À quoi elle rit, rosit, et ondula du chef à l’orteil, me laissant tout charmé de ce branle.
— Monsieur, dit-elle enfin, ne serait-ce pas là trop d’école et trop d’étude ?
— Nenni, nenni. Le gémir ne requiert point tant de labour. Il n’est que de se laisser aller.

À quoi elle rit de nouveau, ses fossettes se creusant délicieusement de chaque côté de ses lèvres.
— Ha Madame ! dis-je, vos fossettes ! Il me faut les baiser sur l’heure !
— Et pourquoi, Monsieur ? dit-elle sourcillant, la tête haut levée sur sa fraise à godrons. [...]
— Madame, vous me devez ces fossettes : je vous ai fait rire.

p. 487

Là-dessus, il lui tourna le dos, la faisant bouillir et rebouillir dans les poisons que son âme aigre sécrétait.

p. 507-509

— Ha ! dit le ministre, quel interlocuteur est-ce là qui me rogne mes questions avant que je les aie posées ?
— Monsieur le Ministre, mieux vaut rogner les questions que les réponses.
[...] Mais gageons qu’on ne va pas me taxer d’adultère : ma complice est trop haute dame pour qu’on la puisse nommer. Qu’on soit papiste ou huguenot, la morale s’arrête, effarouchée, sur les degrés du pouvoir.


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