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Monaldi, Rita et Francesco Sorti

Secretum

lundi 9 avril 2012, par webmestre

Traduit de l’italien par Nathalie Bauer, Plon, Paris, [2004], 2010, 1082p.
22,95 $

Du point de vue d’un lecteur d’aujourd’hui, en attente de suspenses écrits en brefs et haletants chapitres selon la formule, ce livre serait d’un mortel ennui. Il s’agit toutefois d’un livre des plus intéressants. D’abord pour l’amateur d’anecdotes et de belle littérature, mais aussi pour l’historien puisque l’ouvrage se targue également d’exposer une théorie au bout de laquelle l’histoire aurait pu s’en trouver transformée. On y appréciera donc le développement en parallèle de la petite histoire et de la grande. Une écriture truculente, et des personnages qui le sont parfois tout autant !, ne viennent pas gâcher le plaisir de lecture.

p. 72

« Belle hospitalité ! commenta Atto d’un ton aigre. On poignarde les invités et on leur laisse payer le chirurgien ! »

p. 87

« ... Là où peut demeurer commodément la Reine qu’est la théologie, peut entrer la donzelle qu’est la philosophie, et encore plus aisément la ménagère qu’est la médecine. imagine donc la servante qu’est le journal.
— En vérité, ma langue vulgaire n’est point le toscan, mais le romain, répartis-je en mâchant moi aussi.
— "Oh, toi, tu n’as pas écrit en toscan !", dirait ici maître Aristarco. Et moi je te dis que tu n’as point écrit en toscan, comme tu n’as point écrit en allemand, pour le motif que tu es romain. Ceux qui aiment toscaniser n’ont qu’à lire Boccace ou Bembo, ils en perdront vite l’envie ! » s’écria mon interlocuteur avec une pose étrange et une voix rauque, concluant ses paroles par une grande gorgée de muscat.

p. 232

« ... Pourquoi naît-il parfois à un père avisé un fils sot ? Il est impossible que la mère le désire. Et pourtant, je suis persuadée qu’il en est ainsi. La plupart des maris avisés sont d’humeur mélancolique, et la mélancolie est la sœur charnelle de la folie. Les femmes haïssent ces deux sentiments au souverain degré dans l’usage de l’amour. Il est possible qu’elles souhaitent, à l’heure qu’elles conçoivent, un homme sot et allègre au lieu d’un homme avisé et mélancolique. Sans compter que les maris distraits s’acquittent mal de cette tâche... »

J’eus un sursaut de honte. Cloridai avait raison : je n’avais point répondu à ses ardeurs, j’étais demeuré mélancolique et comme absent.
[...]
— Ainsi, tu préférerais un mari sot et allègre, mon épouse ? lui demandai-je.
— Un homme allègre et sot est toujours un bien pour la qualité de sa descendance. En effet, charmant énormément la femme pendant la rencontre, il l’amènera à souhaiter que la sagesse s’unisse à tant de gaieté et, grâce au pouvoir de l’imagination, il lui arrivera d’engendrer un enfant gai à l’esprit fin. »

p. 250

On lui inflige un régime à base de coqs et de chapons nourris avec de la viande de serpent. Pour toute boisson, de l’urine fraîche de vache. Depuis plusieurs mois, el rey se traîne de son lit à son fauteuil, et de son fauteuil à son lit. Son corps se décompose déjà. Et il n’est âgé que de trente-neuf ans.

p. 293

« J’aimerais bien qu’on m’explique comment on peut faire feu avec ce mousquetrope, puisque ses canons sont remplis de verre », marmonna-t-il, incapable de se résigner à la pensée que l’instrument d’optique n’était point une arme.

p. 433

Certes, la prison regorgeait d’innocents, et les rues de coupables, lui avait-il réparti. Or ces choses là devaient être bien faites : elles étaient en général ordonnées par les juges, ou par les puissants, dont les juges exécutaient les ordres à l’insu du peuple.

p. 557

… Je ne pouvais même pas lui demander de se laisser capturer : le braque me précédait, il aboyait méchamment et sautait comme une furie, espérant saisir dans sa gueule le pauvre fuyard. Les passants regardaient avec stupeur filer notre enchevêtrement hurlant, chimère inouïe composée d’ailes en fuite, de crocs à l’assaut et de jambes au secours.

p. 651

Monté sur une chaise, je parcourus les titres de mes doigts impatients comme si mes pupilles appelaient le toucher au secours afin qu’il lui confirmât ce qu’elles lisaient.

p. 680

… Toutefois, je crains de ne pas avoir compris. Il me semble avoir déjà ouï parler de ces sortes d’épousailles royales, où la femme du roi ne règne pas auprès de lui et n’enfante pas d’héritiers à la Couronne…
— Non, tu confonds avec le mariage morganatique. Mme de Maintenon est, plus modestement, une épouse « non déclarée ». Tous à la cour le savent et cela convient fort bien au roi. Mais il refuse qu’on y fasse allusion. Tamquam non esset, comme si elle n’existait pas.

p. 719

« Par le corbleu ! Cela suffit, Buvat, cela suffit ! pesta Atto en se frappant du poing sur le genou. Peu m’importent les livres imprimés sur de la couenne de poisson. Par quel mystère vous laissez-vous entraîner de la sorte chaque fois que l’on cause de livres et de manuscrits ? »

p. 771

« … Quand le pauvre tend la main pour demander la charité, c’est le Christ lui-même qui le fait.
— S’il en est ainsi que vous le dites, la malhonnêteté est fille de la compassion et donc, indirectement, de l’Église même, déduisis-je avec étonnement tandis que je mettais quelques miettes de pain dans une cage.
— Eh bien, en somme… balança don Tibaldutio, ce n’est point ce que j’entendais dire. »

Il y avait toutefois, admit-il, une chose fort alarmante. Les frères hospitaliers d’Altopascio, par exemple, qui mendiaient sauvagement parmi les châteaux et les villages, en avaient reçu la permission de l’Église de Rome. Dans leurs sermons, ils frappaient d’épouvante le peuple en le menaçant d’excommunication ou en lui promettant des indulgences. Et en échange d’argent, ils absolvaient quiconque.

Au fond, les pontifes n’avaient-ils pas cédé, eux aussi, au charme équivoque de la superstition et de la charlatanerie ? Boniface VIII portait nuit et jour un talisman contre le mal de la pierre, tandis que Clément V et Benoît XII ne se séparaient jamais du cornu serpentinum, une amulette en forme de serpent que Jean XXII conservait même sur sa table, plantée dans le pain et entourée de sel.

p. 829

« Quoi qu’il en soit, poursuivit Cloridia, la sage-femme doit baptiser les monstres sur le champ, parce qu’ils vivent en général très peu. Pour être exacte, elle doit baptiser deux fois un monstre à deux têtes ou deux bustes, mais elle ne le baptisera qu’une seule fois s’il a quatre bras ou quatre jambes. »

Quand on reconnaissait dans le monstre un corps bien distinct sans pouvoir discerner l’autre, acheva-t-elle, on baptisait en premier lieu celui que l’on savait absolument appartenir à l’espèce humaine, et l’autre ensuite, mais sub condicione : le baptême ne serait valable que si Dieu décrétait que le second aussi avait une âme, et il était seul à pouvoir en juger sous l’apparence des difformités.

« Comme vous l’avez vu, je ne mentais pas lorsque j’affirmais que les monstruosités des foetus sont matière étrange, commenta Cloridia, en outre fort amusante à raconter à la femme qui vient d’accoucher d’un enfant beau et sain. Ornant telle une guirlande les efforts subis dans l’enfantement, les histoires et les théories de monstres la ravigoteront tandis qu’elle se repose en attendant d’avoir les secondines et la purge.

— La ravigoteront ? marmonna Atto, dont la pâleur verdâtre laissait craindre une atteinte d’estomac.

p. 900

Après avoir déroulé prudemment la tapisserie qui était pendue à la porte pour nous abriter des regards indiscrets, je sombrai parmi les coussins de plume et laissai ma mémoire se dissoudre dans la tiédeur ronde et molle de mon épouse, tandis que le parfum pénétrant des épices se mêlait à d’autres fragrances secrètes et ineffables.

p. 919

« N’oublie pas, mon garçon, me dit Atto. Les grandes falsifications requièrent de grands moyens. Et seul l’État les possède.

p. 994

Les paroles d’Albicastro revinrent à mon esprit, me causant un sentiment d’impuissance désespérant : « Le monde est un énorme banquet, mon garçon, et la loi des banquets est : bois ou déguerpis ! »

p. 1017

… En effet, le jour viendrait où le souverain lui poserait l’inévitable question : « Dites-moi, est-elle encore belle ? »



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